Cette semaine, deux jeunes ont été tué lors d’une manifestation en Guinée
Des milliers d’étudiants ont défilé à Conakry pour la situation de l’éducation et la manifestation a dégénéré. Moussa Yéro Bah préside une ONG qui s’appelle F2DHG – « Femmes, développement et droits humains en Guinée ». Elle propose des formations qui réunissent jeunes et forces de l’ordre.
Le but est de créer un dialogue entre deux camps qui ont l’habitude de s’affronter et d’expliquer comment une manifestation peut se dérouler sans violence. Moussa Yéro Bah est interrogée par Dirke Köpp.
DW : Moussa Yéro Bah, vous êtes journaliste à Espace FM. Mais en même temps vous êtes super active dans une ONG qui s’appelle « Femmes, développement et droits humains en Guinée ». Vous faites des formations, non seulement à des policiers ou à des agents des forces de l’ordre mais aussi à des jeunes manifestants afin que les manifestations se passent sans violence comme c’est souvent le cas.
Moussa Yéro Bah : Oui parce que nous observons, et nous voyons des dérapages. On se dit qu’il faut cultiver la paix, il faut cultiver la quiétude, le civisme, chez les gens. Il y a plusieurs sortes de manifestations : il y a des sit-in, des meetings. On leur dit : vous pouvez tenir des pancartes, vous n’êtes n’est pas obligé de prendre un caillou et de cogner son concitoyen en uniforme. Et dire à ces agents de sécurité de ne pas avoir la gâchette facile. Ils ont des frères, des concitoyens en face. Il n’y a pas cette culture de redevance de savoir si tu as commis un tel acte, tu dois rendre compte et être jugé, condamné. C’est ce qui fait qu’il y a une sorte de récidive. Il faut faire de la sensibilisation, leur parler, leur faire comprendre que les manifestations peuvent être pacifiques. Raconter par exemple l’histoire de Gandhi qui a obtenu le plus souvent ce qu’il a voulu – mais avec la paix. Ou leur parler de Mandela qui a vécu 27 ans en prison, qui est sorti mais qui n’a pas réprimé. Et les mettre ensemble : agents de sécurité et ces jeunes manifestants qui sont souvent sur le terrain ensemble, qui insultent, qui se jettent des pierres ou qui se tirent dessus. Je me dis que c’est la meilleure façon d’aider à pacifier ce pays.
DW : C’est effectivement ça qui est intéressant dans la formation que vous donnez avec votre association : c’est que les jeunes manifestants et les forces de l’ordre sont ensemble dans ces formations. Et vous avez dit qu’ils se disent aussi les quatre vérités en face – mais de façon paisible.
Moussa Yéro Bah : Le thème est la culture des manifestations non-violentes en Guinée. Il faut qu’on cultive cela, nous. Quand je suis partie voir le directeur de la police qui gère les manifestations sur le terrain et qui est parfois mal vu par les manifestants. Mais c’est un lutteur, il est chargé de faire le maintien de l’ordre. Il m’a dit : ‘je mets mon nom en premier, et puis je mets tous mes commandants’. Ca veut dire qu’il y a peut être ce besoin d’acquérir ces notions pour changer la donne parce qu’on a besoin de ça pour que ce pays avance. On ne va pas rester à se blesser, à se cogner, à se taper dessus à chaque fois. On a besoin de développement, on a besoin de parler d’économie… ce pays tellement riche. Ce pays est tellement riche que si on mettait tout cela en valeur ! Si on mettait la haine, ces questions de politique. On ne parle que politique aujourd’hui en Guinée. Et cette jeunesse n’a pas besoin politique. Elle a besoin de concret : d’être formée, d’être financier dans ses projets pour pouvoir avancer. Voilà pourquoi je me dis que si on réussit à mettre ensemble ces jeunes – qui sont des leaders, qui sont sur le terrain quand c’est chaud… Ils pourraient faire des recommandations, des propositions aux agents des services : qu’est-ce qu’ils attendent des agents des services de sécurité quand il y a manifestation. Et les agents des services de sécurité, police et gendarmerie, pourraient dire à ces jeunes : ‘nous attendons que vous manifestiez de façon pacifique’. Et peut être que les jeunes pourraient leur dire : ‘nous ne voulons pas que vous nous tiriez dessus parce ce nous ne sommes pas vos ennemis. Nous voulons juste qu’il y ait la paix. Nous voulons juste que la Guinée soit un pays de démocratie et voilà pourquoi nous manifestons’. C’est cela l’objectif recherché : qu’il y ait ce dialogue, cet échange, cette mise en confiance de ces deux groupes.
DW : Souvent c’est aussi une question de manque d’éducation chez les jeunes qui n’ont jamais appris à manifester paisiblement et c’est aussi de l’incompréhension de l’autre en face.
Moussa Yéro Bah : Justement c’est là qu’il faut peut parler de la responsabilité des partis politiques. Parce ils ont des jeunes, des militants, des sympathisants qui ne sont pas réellement éduqués à la manifestation. Ils supposent que manifester, c’est détruire les biens publics et venir cogner l’autre. Mais je pense que c’est en train d’évoluer dans ce pays parce à un moment, il y a quelques années, quand on parlait de journée ville-morte, de marche, c’est toute la capitale qui est bloquée. Les zones les plus chaudes, par exemple Kosa, vous ne voulez pas y passer ou y sortir la tête. Mais les choses sont en train d’avancer : aujourd’hui, on peut parler de journée ville-morte mais certaines personnes prennent leur voiture, elles vaquent à leurs occupations. Même si quelquefois, il faut le reconnaître, il y a toujours des dérapages. Mais vous l’avez dit : il y a un problème d’éducation.
DW : Est ce que vous avez déjà vu des premiers résultats ?
Moussa Yéro Bah : Nous avons organisé une première formation, uniquement avec les jeunes. On s’est dit que s’ils sont dans la rue, ils participent à des manifestations, ils font des violences. Peut-être parce qu’ils ne sont pas occupés. On les a formés en entreprenariats et leadership. Beaucoup ont réussi à mettre des petites activités génératrices de revenus. C’est un bon départ et nous faisons cette deuxième formation et ne compte pas s’arrêter là. Nous voulons vraiment continuer pour amener ces jeunes à prendre leur destin en main. Parce quand ils ne sont pas tués lors d’une manifestation, il y en a qui prennent la route du désert et de la Méditerranée et beaucoup n’ont pas la chance d’aller jusqu’au bout.